L’imaginaire de la culture
sportive de compétition est habituellement plus proche des métaphores
guerrières (victoires, défaites) que de celle, par exemple, du voyage
initiatique (se perdre, se trouver). Dans ce contexte-là, ne serait-ce que sur
le plan sémantique, il est déjà délicat de s’approprier le terme de
« lâcher prise » : en sport, lâcher prise c’est capituler,
céder, mollir, abandonner. Impensable et contre-productif pour la gagne ! A
ce terme lui sont couramment préférées les formules « être serein »,
« rester zen ». Mais ne nous y trompons pas. En grattant un peu à la
surface de ces étiquettes, nous retrouvons vite la notion de contrôle : il
s’agit en fait de contrôler ses émotions, gérer son stress, « se créer une bulle de concentration
où rien ne doit m’atteindre », etc.
Loin d’apporter des réponses toutes faites voilà quelques interrogations susceptibles d’élargir le champ des possibles.
Produire une performance
sportive, aller chercher la victoire le jour « J », impose tout un
travail d’anticipation et de construction de la forme sportive. Les programmes
d’entraînement répondent à cette exigence, ils visent à maîtriser au mieux le
temps et à contrôler les transformations du corps. Les sportifs, avec la
complicité de tout le système (entraîneurs, staff, institutions), succombent
alors aux chants des sirènes : « à
force de volonté je dois pouvoir régulièrement produire un geste sportif parfaitement
maîtrisé ». Le corps, et même l’esprit, sont perçues comme des objets
extérieurs à soi et contrôlables, ... enfin,... presque ! Car la réalité
de la compétition impose un tout autre jeu (incertitudes et émotions) qui fait
souvent voler en éclat cette illusion du contrôle ; arrivent alors son lot
de tensions, de crispations, d’hésitations, d’erreurs conduisant à l’échec.
Dans cette fascination narcissique
de la compétition, s’efforçant de contrôler au mieux le corps (maîtrise sensori-motrice)
et l’esprit (maîtrise des émotions), dans notre fantasme d’un être rationnel, nous
nous enfonçons un peu plus dans la solution qui crée et/ou maintient le problème :
être dans le contrôle spécule sur l’incontrôlable et prophétise l’apparition
d’erreurs dans l’action sportive, auto-renforçant ainsi le besoin de
contrôle ! « Lâcher prise » c’est s’extraire de cette boucle, et
comme le terme peut paraître ambiguë dans lexique sportif, pourquoi ne pas lui préférer
celui de « laisser s’accomplir » ? Accepter à un moment donné
que ce qui constitue mon corps ‘sache’ mieux que moi faire ce que j’ai à faire,
et ‘simplement’ donner l’impulsion de départ, l’étincelle de vie, l’intention
qui va permettre à l’action de s’auto-organiser et d’orienter de nouvelles
intentions de proche en proche, dans un relâchement physique et une disponibilité
mentale en synchronisme avec la performance à produire.
Une des fonctions de la pratique
sportive compétitive, au plan de la construction identitaire de la personne,
comme tant d’autres activités évidemment, s’avère être la construction et l’affirmation
de(du) Soi. Une des propriétés intrinsèque à la pratique intensive de haut-niveau,
l’immersion du corps et de l’esprit dans l’agir, offre la possibilité, le choix
de s’ouvrir à soi-même et/ou de se cacher. Bien plus qu’une injonction au
« lâcher prise » et/ou une invective à « contrôler », la prise en compte de
cette dynamique identitaire offre tout un champ d’attitudes et d’interventions possibles
en liens avec les besoins, les désirs, les valeurs et les capacités du moment des
personnes. C’est le sens de la figure suivante modélisant la dynamique de ces
états du Soi : nous inviter à ne plus entrer en guerre mais en aventure... Et
la bienveillance consiste souvent à comprendre et à respecter les étapes de
chacun, sans jugement moral, ni préjuger du meilleur pour l’autre.
Loin d’apporter des réponses toutes faites voilà quelques interrogations susceptibles d’élargir le champ des possibles.
Lâcher prise sur quoi ? Le but, la « gagne ?
Certainement pas ! Mais faisons-nous suffisamment la différence entre volonté
de remporter le match, le round, la partie, et avidité de victoire ? Différence
entre un besoin impérieux de vaincre l’autre (donnant corps ainsi à l’aversion
de la défaite et la crainte inhibitrice d'échouer qui va avec) et la détermination à gagner la partie quelques soient les
obstacles à surmonter ? La réussite envisagée comme cause ou comme
conséquence ? L’adversaire est-il un concurrent ou un révélateur ? Et
si la compétition c’était simplement s’efforcer de surmonter les obstacles que
l’adversaire nous présente, et non plus une guerre identitaire mais une aventure
coopérative ? Qu’apportent toutes ces différences de perception ? Et
si en fait, dans une compétition, personne n’était battu ?
Laisser s’accomplir quoi exactement ? S’en remettre à la
chance ? Nullement ! Plutôt
que considérer le cerveau comme le pilote du corps, approche classique, que
cela changerait-il dans les entraînements et le coaching si nous le
considérions comme un simple appendice du corps ? Un athlète, en courant,
se sent accélérer du fait de la route qui progressivement descend ; est-ce
le corps ou (et ?) le cerveau qui « contrôle » l’augmentation de
la vitesse ? Lorsqu’un golfeur professionnel manque sa cible, est-ce les
mécanismes cérébraux qui sont en cause ou (et ?) les synergies
motrices ? L’intuition motrice, le bon geste au bon moment : une
question de contrôle, de lâcher prise sur le mental, de laisser faire le corps,
de laisser aller ?
Qu'adviendrait-il si nous possédions une vision de la compétition comme victoire de soi avec l’autre plutôt que de soi sur l’autre ?
Qu'adviendrait-il si nous possédions une vision de la compétition comme victoire de soi avec l’autre plutôt que de soi sur l’autre ?
Bibliographie :
Tennis et psychisme, Timothy Gallwey, Ed. Robert Laffont, 1977
Le sens du mouvement, Alain Berthoz, Ed. Odile Jacob, 2008
Le cerveau attentif, Jean Philippe Lachaux, Ed Odile Jacob, 2011.
La révolution de l’intelligence du corps, Rolf Pfeifer & Alexandre Pttti, Manuella éditions, 2012.
Tennis et psychisme, Timothy Gallwey, Ed. Robert Laffont, 1977
Le sens du mouvement, Alain Berthoz, Ed. Odile Jacob, 2008
Le cerveau attentif, Jean Philippe Lachaux, Ed Odile Jacob, 2011.
La révolution de l’intelligence du corps, Rolf Pfeifer & Alexandre Pttti, Manuella éditions, 2012.
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