mardi 24 février 2009

Femmes, entraînement et réussite sportive

Tribune publié dans le n° spécial "Jeux au féminim", decembre 2008, de la lettre d'information du pôle ressource national "sport, famille et pratiques feminines".

La faible récolte de médailles féminines par les délégations Françaises aux JO de Pékin interpelle évidemment. Certains y voient objet à inquiétudes. Avec mon angle de vision, la dimension mentale dans la performance sportive, je ne trouve pas qu’il y ait lieu de s’inquiéter de ce manque de réussite chez les sportives. Pas plus, en tout cas, que le nombre de médailles annoncé (40) ait été obtenu par des personnes que l’on n’attendait pas. Loin de moi l'idée de régler la question de cette possible contre-performance des équipes féminines avec son corollaire d'entraînement, d'encadrement ou de management des filles.

Le sujet de la réussite sportive et de l’encadrement sportif au féminin est une question récurrente. Il y a bientôt dix ans, un colloque autour de ce thème était déjà organisé à l’INSEP. Toujours à l’INSEP, ce thème a été retenu et exploré dans les stages de formation continue pour les entraîneurs. C’est aussi un des thèmes, "la difficulté d’entraîner et de motiver des filles", qui mobilisaient les collègues entraîneurs lors des " matinées de l’Unité de Préparation Mentale (UPM) ". La récurrence des interrogations que soulève l'entraînement sportif des femmes démontre bien qu'il y a matière à réflexion et à conception…

L’objectif de l’UPM est de permettre aux collègues entraîneurs d’intégrer consciemment, au quotidien, la dimension mentale dans la préparation sportive et d’accompagner les sportifs dans leur projet de réussite sportive. Cela implique de s’approprier des outils sur les habiletés mentales et sur la dimension relationnelle de l’entraîneur avec le sportif. Pour se faire des séminaires de formation sont ouverts à tous les entraîneurs en pôles ou en clubs. Très tôt, la distinction fille/garçon, dans le domaine de la dimension mentale, m’a semblé être une distinction factice. Une paire de lunettes trop grossière pour une intervention à Haut Niveau. A mon goût, raisonner à partir d’une spécificité de l’encadrement du sport féminin peut même s’avérer être stérile, c'est-à-dire rester dans l’incapacité d’accoucher de solutions pratiques et efficaces, voire la cause des ultrasolutions misent en place actuellement : cloisonnement des sexes dans les pôles et les stages d’une même discipline ; rechercher au maximum des entraîneurs femmes pour entraîner des filles. Deux types de conduites qui selon moi, loin d’apporter une réponse, créent et/ou entretiennent le problème ; j’y reviendrai plus loin. Si problème il y a, duquel parlons-nous ? Du problème à manager, entraîner, motiver, coacher des sportives ? N’y a-t-il pas une autre manière d’aborder le sujet, en partant, par exemple, de la difficulté qu’expriment certains entraîneurs hommes (et femmes ?) à entraîner des filles ? C’est déjà une perspective différente de la précédente. Les sportives ne seront plus stigmatisées comme source du problème, en revanche l’entraîneur (homme ou femme) devient le centre d’intérêt. Repositionné au centre des débats nous pouvons alors nous demander comment se percutent en chacun de nous les exigences d’un exploit sportif communément associé à des valeurs masculines ( ?) de puissance et de force, avec nos attentes et représentations personnelles de la femme ? Où ces interrogations peuvent-elles nous mener ?

L’entraînement sportif agit avec et sur le corps, dans nos chairs. En cela, il existe une distinction organique évidente, différence perceptible d’un simple regard, entre un corps de femme et un corps d’homme (comme entre un corps d’une jeune personne ou d’une personne âgée), distinction techniquement incontournable pour l’entraîneur car « l’anatomie c’est le destin »(1) . La prise en compte de cette distinction est un premier niveau d’expertise : être capable d’adapter la préparation sportive en fonction des états du corps, des différences biologiques et psychiques entre les hommes et les femmes, comme ils en existent entre les enfants et les adolescents, les jeunes et les seniors, les valides et les non valides, les débutant et les experts, etc. Un deuxième niveau d’expertise consistera à dépasser la différence des sexes en intégrant la prévalence du genre (c'est-à-dire la différenciation sociale des sexes) et la complémentarité, ou opposition, du Féminin et du Masculin chez chaque individu (mâle ou femelle) car « le corps n’est ni déterminant ni indifférent : il appartient à chacun(e) d’en assumer et d’en élaborer existentiellement l’interprétation »(2) en apposition avec la citation précédente. Nous devenons alors capable d’adapter l’entraînement en fonction des représentations subjectives (pléonasme ?) de chacun, la différence des sexes n’apparaissant plus appropriée. Concernant plus particulièrement l’entraînement à haut-niveau, vers la haute performance, c'est-à-dire avec de plus en plus de rigueur dans l’individualisation, le filtre homme / femme est vraiment trop rustique pour être pertinent et efficace.A l’UPM, nous explorons cette démarche qui se traduit concrètement dans la nature de la relation qu’établit l’entraîneur avec l’individu sportif, le groupe et la qualité de ce rapport plutôt que de rechercher comment entraîner une certaine catégorie d’individu, ici les filles en l’occurrence. Bien évidemment, les interviews d’entraîneurs , font souvent état de caractéristiques qui pourraient sembler spécifiques aux sportifs femmes et qui de ce fait les portent à ne pas manager les filles comme les garçons. Cependant, lorsque Fabrice Vettoretti (entraîneur du pôle France BMX au CREPS PACA site d’Aix, médailles d’or et d’argent à Pékin chez les filles) dit qu’ « il a fallut que j’apprenne Anne-Caroline », il a intuitivement mis en œuvre ce deuxième niveau d’expertise qui consiste à entrer en relation avec « la carte » de l’autre sans se laisser distraire (guider ?) par les interprétations et les a priori liés à la nature des corps. L’individualisation de l’entraînement, et donc de la relation, se résume plus à un accueil bienveillant et respectueux des différences qu’à la recherche des similitude catégorielles avec la classe homme, ou femme – jeunes – vieux - ‘normal’ -‘handicapé’ - etc. Cela implique une autre approche de l’entraînement, d’autres outils relationnels et de communication, c'est-à-dire de passer de l’idée de conduire un entraînement à accompagner un changement. Les séances d’entraînement sont bien plus que ce que nous voulons nous le faire croire. La finalité n’est-elle pas de permettre aux chairs(3) de se transformer, de passer d’un état à un autre plus efficient, de se transformer en quelque sorte. Conduire présuppose le contrôle sur le véhicule ; qui peut encore aujourd’hui, naïvement, espérer que le sportif, tout de « chair et d’os » bâtit, n’ait pas son mot, ses maux, son corps à dire ? L’appropriation de toutes ces notions, leur mise en pratique, est certainement une des clés de la réussite car elles prennent en compte l’écologie du système économico-social dans lequel nous (sportifs, entraîneurs, parents) vivons.

Il est intéressant de noter aussi qu’il existe certains entraîneurs qui font peu cas de la différence sexuelle dans leur attitude relationnelle avec ‘leur’ groupe de sportifs et sportives. C’est le cas par exemple de Myriam Baverel (vice championne olympique et entraîneure du pôle Tækwondo au CREPS PACA site d’Aix). Intentionnellement, elle cherche à ne pas faire de différenciation fille/garçon dans ses entraînements et a obtenu d’excellents résultats aussi bien dans les catégories masculines que féminines. Comment ces entraîneurs procèdent-ils ? Le savent-ils ? Un travail de modélisation de leurs compétences serait indéniablement une piste stimulante à suivre.

Il y existe également d’autres sentiers à défricher. Si des raisonnements organisationnels, fonctionnels, nous poussent souvent à envisager la constitution de collectif par sexe dans des espaces différents, cette absence de mixité n’est-elle pas un frein dans certaines disciplines, voire dans toutes ? Autrement dit, n’y aurait-il pas plus à tirer avantage de la mixité en vue de la réussite sportive que faire de la ‘ségrégation’ sexuelle par facilité organisationnelle ? D’autres points de vue reviennent régulièrement dans les discours à propos de la spécificité des filles : le besoin de préserver le capital confiance et éviter la confrontation directe qui serait souvent inhibitrice (à l’entraînement ?). Mon expérience d’entraîneur (pôle France escalade) avec des garçons et des filles, puis mes interventions au sein de l’UPM avec de nombreux sportifs et sportives ne confirment pas ces impressions comme en lien direct avec la question du sexe. Je dirai plutôt que les deux précautions citées précédemment (confiance, confrontation) existent chez les deux sexes avec des formes d’expressions différentes en fonction de la manière dont la personne assume son genre. Et peut être même plus que cela : comment la personne, dans ce système de pensées et de conduites que représente l’objectif de réussite sportive, comment articule-t-elle sa part d’investissement souvent malheureusement nommée « passif-féminin »(4) avec sa part « actif-masculin »(5) que l’idéologie sportive glorifie et attend-elle ? Et comment cela fait-il écho et/ou résonne-t-il dans la relation entraîneur(e)/sportif(ve) d’une part et d’autre part en nous-même entraîneur ?

Je souhaite revenir sur la notion de confiance. Il existe de nombreuses pensées toxiques qui ont la vie dure dans notre milieu, l’association de la confiance en soi avec la réussite est certainement la pire. Comment pouvons nous laisser croire à des personnes que c’est parce qu’elles manquent de confiance en soi qu’elles n’y arrivent pas et encore plus terrible, qu’elles ont besoin de cette confiance en soi pour y arriver ? La confiance en soi n’est pas un but, la confiance en soi est le résultat de l’accomplissement d’un but. Ce n’est pas lieu de s’attarder ici sur le concept du Soi, j’attire seulement l’attention qu’il est indispensable de lever le plutôt possible les confusions qui peuvent se tisser entre le « en Soi », le « en Moi », l’activité, les compétences, les expériences et les sentiments qui les accompagnent. Très souvent le « j’ai pas confiance en Moi » peut se reformuler et se ré-expérimenter en « je veux moins douter pour y arriver plus ». Cela fait une sacrée différence quand la personne atteint cette étape, le futur semble soudain plus proche et plus accessible. A l’heure actuelle, la pratique de la préparation mentale, dans son sens le plus large (accompagnement, coaching…) s’alimente à deux sources principales : la psychologie clinique et la psychologie cognitivo-comportementaliste. Elle s’abreuve aussi avec efficacité à des sources non encore validées par l’establishment. Il existe également une autre voie très prometteuse que je tente d’explorer ici : la phénoménologie comme pratique concrète.

La collaboration avec le Pôle ressources national "Sport, famille et pratiques féminines" nous permettra très certainement d’avancer de concert sur la compréhension du phénomène, et facilitera la poursuite des travaux conduits par l’Unité de Préparation Mentale (la place d’entraîneur dans la relation, l’individualisation du rapport et des objectifs, l’usage de la mixité…) et de la mise en œuvre de solutions selon une approche genrée de l’entraînement. Contrairement à ce que pourrait laisser supposer cet article, si la nature des propos peut sembler par trop abstraite, avec le souci du terrain et de la mise en pratique, la démarche de l’UPM est résolument pragmatique : élaborer une démarche concrète avec des outils fonctionnels au quotidien dans la préparation sportive.

[1] Freud. Nouvelles Conférences.
[2] Butler Judith. La vie psychique du pouvoir.
[3] Chair : lieu de l’intimité du sujet, où il s’atteste dans sa relation tout à la fois corporelle, psychique et spirituelle. Husserl.
[4] Eric Fromm, dans Etre ou Avoir, nomme quant à lui cette part de nous même « activité non aliénée », c’est-à-dire que « je me ressens moi-même comme le sujet de mon activité. L’activité non aliénée est un processus qui donne naissance à quelque chose… »
[5] Toujours E. Fromm, pour qui cette partie de nous même n’est qu’affairement et activité aliénée avec laquelle « j’expérimente plutôt le résultat de mon activité, et cela, comme quelque chose qui est « là-bas », qui est séparé de moi, qui se dresse au-delà de moi et contre moi. »