En rééditant mon ouvrage "S'entraîner à perdre, guide pas pratique. Ou comment apprendre à se jouer de ses échecs" [1], j'y ai apporté, en plus de quelques autres ajouts, un épilogue (p 130 et 131). Je vous le livre ici car cette épilogue pourrait tout aussi bien être un prologue tant le déroulement de la lecture des chapitres peut s'avérer spiralée et récursive.
Épilogue
Dans ses
dialogues imaginaires avec le peintre Belge Bran Van Velde, Samuel Beckett fait
le constat que : « être un
artiste, c’est échouer comme nul autre n’ose échouer [2] ».
En toute modestie,
pourquoi ne pas faire notre cette excellente formulation ? Et si l’essence
même du sportif était résumée dans cette citation ? « Être un sportif, c’est échouer comme nul autre
n’ose échouer. » Magnifique !
La boucle est bouclée. Enfin quelqu’un de sensé qui nous donne à
connaître notre vraie nature. Nous n’avons plus à nous débattre contre cette
dictature de la gagne en cherchant à mettre au point toutes sortes de stratégies
pour s’en sortir ; inutile de « s’entraîner à perdre » ; arrêtons
de nous débattre ; acceptons simplement que nous ne pouvons pas faire
autrement qu’échouer !
Dès lors la
question du « comment faire pour échouer ? » devient
insignifiante. Il apparaît plus sensé de se demander : « où allons-nous échouer ? ».
Sur quels rivages ? Et de nouvelles métaphores s’offrent à nous :
celle du naufragé, de l’aventurier, du voyage initiatique. Une vie où se perdre
n’est plus se perdre, où trouver c’est se retrouver, où s’ouvrir à soi c’est
découvrir les autres. Et tel le Baron Münchhausen [3],
nous tirant nous-même par notre chevelure, nous nous extrayons de cet
imaginaire sportif exclusivement construit autour de métaphores
guerrières : partir au combat, vaincre ou mourir, défendre, attaquer,
avoir l’esprit conquérant, être un guerrier, etc. Ne plus entrer
systématiquement en guerre contre soi et/ou les autres mais en aventure !
Un
sport devenu véritablement une quête, où l’objet de la quête aura, au final,
moins d’intérêt que l’expérience de la quête elle-même. Une aventure fabuleuse,
une épopée, dans laquelle le héros, au péril de sa vie, et en dépit des pièges
à déjouer, s’affranchira des obstacles posés par d’autres, ou par lui-même,
surmontant ses propres peurs et apprivoisant son corps et son esprit.
« Moi,
vainqueur », « Moi, gagnant », « Moi, président »,
émois, émois ? Voilà l’objet apparent et trompeur de la quête : un
« Moi » fort, voire despotique ! Un « Moi » pour
satisfaire papa, maman, les professeurs, les entraîneurs, l’école, la
société ? Et « Soi » dans tout cela ? Ce qu’il y a
d’exceptionnel dans le sport de compétition est cette possibilité de
s’ouvrir à soi-même et/ ou de se cacher de soi-même. Cette dynamique est
synthétisée dans la figure ci-dessous.
[1]S'entraîner à perdre, guide pas pratique, Olivier Guidi, Ed Dumental, 2006, 2014
[2]Trois dialogues, Samuel Beckett, Ed. Minuit, 1998
[2] Les cheveux du Baron Münchhausen, Paul Watzlawick, Ed. Seuil, 1991