samedi 27 avril 2013

Préparation mentale / Psychologie du (et) sport

La préparation mentale apparaît encore trop souvent, en France et peut-être plus généralement (?), comme une pratique conçue et produite dans et par la psychologie du sport. Ma volonté n’est pas d’en faire la démonstration dans ce court billet. Renvoyons-nous seulement à l’état des lieux que chacun de nous peut faire via internet, sur  les contenus et les  intervenants présents dans les quelques formations estampillées « préparation mentale » : qu’elles soient  universitaires ou dispensées par des officines privées, la proportion de psychologues et de concepts issues de la psychologie du sport y est prépondérante.

Cette ‘psychologisation’ de la formation en préparation mentale part d’un bon sentiment, très souvent, ostensiblement et légitimement brandit : halte aux charlatans et aux ‘gourous’ ! Mais qui sont-ils, que sont-ils en fait ? Des personnes nous faisant prendre des vessies pour des lanternes ? Qui, profitant de notre confusion, de nos difficultés, nous promettent monts et merveilles tout en nous faisant les poches ? Des individus qui, forts de leur pouvoir de persuasion (et de nos faiblesses), nous vendent des illusions ? Voire nous assujettissent, en notre âme et conscience, à leur propre soif de puissance et/ou de cupidité ? Ils sont certainement un peu, ou beaucoup de tout cela ! Remarquons cependant que de tels individus n’ont pas l’exclusivité de notre monde sportif, ils en existent et nous en rencontrons dans chaque espace « professionnel » ayant comme trait commun les interrelations humaines : la médecine, la formation, la politique, la publicité, le commerce, etc.

Loin de moi la volonté de banaliser ces pratiques socialement détestables ! Mais constatant qu’elles traversent tant de couches professionnelles légiférées, avec pour certaines d’entre-elles un haut niveau d’étude qui en fait ne garantissent pas l’absence de dérives, nous sommes en droit de nous demander si le recours au cadre universitaire dans le domaine de la préparation mentale est vraiment là pour limiter ce problème et/ou aussi ne répond-il pas à un autre souci, plus idéologique celui-là, et qui mériterait d’être interrogé ?

Je n’ai pas la prétention d’y répondre moi-même, ni même d’en esquisser une réponse, car mon propos n’est pas de réfuter et/ou de justifier l’intérêt d’avoir recours aux modèles, théories, et concepts issus de la recherche en psychologie du sport.  Mon propos est d’inviter à s’ouvrir  à d’autres modes de connaissances et d’inspirations qui s’apposent, plutôt que s’opposer, au sacro-saint principe de la validation scientifique.  Car se limiter au scientifiquement vérifié, dans une pratique professionnelle aussi complexe que la ‘préparation mentale’ (processus de changement pour et par l’individu, avec et dans son écosystème),  non seulement ne semble pas être une garantie nécessaire et suffisante de défense contre des pratiques déviantes,  et surtout c’est se limiter au scientifiquement vérifiable et donc s’assujettir à un certain réductionnisme qui a encore du mal à intégrer le modèle de « la pensée complexe ».

Alors bien évidemment, oui à la psychologie du sport, indéniablement, et oui également à la phénoménologie, aux thérapies humanistes, aux courants de l’éducation somatique, telle est ma conviction : une ‘pluriversalité’ de corpus de savoirs, de savoirs faire et de savoir être agrégeables à la dimension mentale de la performance sportive. C’est le projet auquel je m’attelle depuis quelques années : constituer une approche de la Préparation Mentale qui soit en premier lieu Incarnée, Intégrative et Intégrée (la PMI3).  Le paradigme de cette « PMi cube » est en cours d’élaboration, il n’est pas encore pleinement formulé, il est parfois saillant dans les articles et éléments publiés sur ce blog. J’espère pouvoir offrir, à moyen terme, un moyen collaboratif de finaliser ce chantier. Avis à tous(tes) et pour tous(tes) : amateurs, amatrices, faites-vous connaître...

mercredi 10 avril 2013

Quelle place au « lâcher prise » dans la performance sportive ?

L’imaginaire de la culture sportive de compétition est habituellement plus proche des métaphores guerrières (victoires, défaites) que de celle, par exemple, du voyage initiatique (se perdre, se trouver). Dans ce contexte-là, ne serait-ce que sur le plan sémantique, il est déjà délicat de s’approprier le terme de « lâcher prise » : en sport, lâcher prise c’est capituler, céder, mollir, abandonner. Impensable et contre-productif pour la gagne ! A ce terme lui sont couramment préférées les formules « être serein », « rester zen ». Mais ne nous y trompons pas. En grattant un peu à la surface de ces étiquettes, nous retrouvons vite la notion de contrôle : il s’agit en fait de contrôler ses émotions, gérer son stress, « se créer une bulle de concentration où rien ne doit m’atteindre », etc.

Produire une performance sportive, aller chercher la victoire le jour « J », impose tout un travail d’anticipation et de construction de la forme sportive. Les programmes d’entraînement répondent à cette exigence, ils visent à maîtriser au mieux le temps et à contrôler les transformations du corps. Les sportifs, avec la complicité de tout le système (entraîneurs, staff, institutions), succombent alors aux chants des sirènes : « à force de volonté je dois pouvoir régulièrement produire un geste sportif parfaitement maîtrisé ». Le corps, et même l’esprit, sont perçues comme des objets extérieurs à soi et contrôlables, ... enfin,... presque ! Car la réalité de la compétition impose un tout autre jeu (incertitudes et émotions) qui fait souvent voler en éclat cette illusion du contrôle ; arrivent alors son lot de tensions, de crispations, d’hésitations, d’erreurs conduisant à l’échec.

Dans cette fascination narcissique de la compétition, s’efforçant de contrôler au mieux le corps (maîtrise sensori-motrice) et l’esprit (maîtrise des émotions), dans notre fantasme d’un être rationnel, nous nous enfonçons un peu plus dans la solution qui crée et/ou maintient le problème : être dans le contrôle spécule sur l’incontrôlable et prophétise l’apparition d’erreurs dans l’action sportive, auto-renforçant ainsi le besoin de contrôle ! « Lâcher prise » c’est s’extraire de cette boucle, et comme le terme peut paraître ambiguë dans lexique sportif, pourquoi ne pas lui préférer celui de « laisser s’accomplir » ? Accepter à un moment donné que ce qui constitue mon corps ‘sache’ mieux que moi faire ce que j’ai à faire, et ‘simplement’ donner l’impulsion de départ, l’étincelle de vie, l’intention qui va permettre à l’action de s’auto-organiser et d’orienter de nouvelles intentions de proche en proche, dans un relâchement physique et une disponibilité mentale en synchronisme avec la performance à produire.

Une des fonctions de la pratique sportive compétitive, au plan de la construction identitaire de la personne, comme tant d’autres activités évidemment, s’avère être la construction et l’affirmation de(du) Soi. Une des propriétés intrinsèque à la pratique intensive de haut-niveau, l’immersion du corps et de l’esprit dans l’agir, offre la possibilité, le choix de s’ouvrir à soi-même et/ou de se cacher. Bien plus qu’une injonction au « lâcher prise » et/ou une invective  à « contrôler », la prise en compte de cette dynamique identitaire offre tout un champ d’attitudes et d’interventions possibles en liens avec les besoins, les désirs, les valeurs et les capacités du moment des personnes. C’est le sens de la figure suivante modélisant la dynamique de ces états du Soi : nous inviter à ne plus entrer en guerre mais en aventure... Et la bienveillance consiste souvent à comprendre et à respecter les étapes de chacun, sans jugement moral, ni préjuger du meilleur pour l’autre.

Loin d’apporter des réponses toutes faites voilà quelques interrogations susceptibles d’élargir le champ des possibles.
Lâcher prise sur quoi ? Le but, la « gagne ? Certainement pas ! Mais faisons-nous suffisamment la différence entre volonté de remporter le match, le round, la partie, et avidité de victoire ? Différence entre un besoin impérieux de vaincre l’autre (donnant corps ainsi à l’aversion de la défaite et la crainte inhibitrice d'échouer qui va avec) et la détermination à gagner la partie quelques soient les obstacles à surmonter ? La réussite envisagée comme cause ou comme conséquence ? L’adversaire est-il un concurrent ou un révélateur ? Et si la compétition c’était simplement  s’efforcer de surmonter les obstacles que l’adversaire nous présente, et non plus une guerre identitaire mais une aventure coopérative ? Qu’apportent toutes ces différences de perception ? Et si en fait, dans une compétition, personne n’était battu ?

Laisser s’accomplir quoi exactement ? S’en remettre à la chance ? Nullement !  Plutôt que considérer le cerveau comme le pilote du corps, approche classique, que cela changerait-il dans les entraînements et le coaching si nous le considérions comme un simple appendice du corps ? Un athlète, en courant, se sent accélérer du fait de la route qui progressivement descend ; est-ce le corps ou (et ?) le cerveau qui « contrôle » l’augmentation de la vitesse ? Lorsqu’un golfeur professionnel manque sa cible, est-ce les mécanismes cérébraux qui sont en cause ou (et ?) les synergies motrices ? L’intuition motrice, le bon geste au bon moment : une question de contrôle, de lâcher prise sur le mental, de laisser faire le corps, de laisser aller ?

Qu'adviendrait-il si nous possédions une vision de la compétition comme victoire de soi avec l’autre plutôt que de soi sur l’autre ?

Bibliographie :
Tennis et psychisme, Timothy Gallwey, Ed. Robert Laffont, 1977
Le sens du mouvement, Alain Berthoz, Ed. Odile Jacob, 2008
Le cerveau attentif, Jean Philippe Lachaux, Ed Odile Jacob, 2011.
La révolution de l’intelligence du corps, Rolf Pfeifer & Alexandre Pttti, Manuella éditions, 2012.